Si vous souffrez d'endométriose, vous avez probablement remarqué que la douleur ne se limite pas toujours aux règles. Parfois, elle persiste, s'amplifie, ou s'accompagne de troubles digestifs, urinaires, voire de fatigue et d'anxiété. Cette réalité s'explique en partie par un acteur souvent méconnu : le système nerveux.
Quand les nerfs s'invitent dans les lésions
L'endométriose n'est pas qu'une affaire de cellules mal placées. Les lésions montrent une innervation accrue, c'est-à-dire qu'elles contiennent plus de fibres nerveuses que la normale. On observe notamment :
- Une augmentation des fibres nerveuses sensitives (celles qui transmettent la douleur)
- Une diminution des fibres sympathiques (qui régulent certaines fonctions automatiques)
- Une production élevée de neurotrophines (NGF et BDNF), des molécules qui favorisent la croissance de nouveaux nerfs
Ce processus, appelé neurogenèse locale, crée de véritables "autoroutes de la douleur" dans les lésions. Plus il y a de fibres nerveuses, plus la douleur est intense et persistante. C'est particulièrement vrai dans l'endométriose profonde infiltrante, où les fibres sensitives sont particulièrement abondantes.
L'inflammation entretient le cercle vicieux
Les molécules inflammatoires présentes dans les lésions ne font pas qu'entretenir l'inflammation : elles stimulent aussi le remodelage nerveux. Résultat ? Une boucle qui s'auto-entretient : plus il y a d'inflammation, plus les nerfs se développent, plus la douleur s'installe durablement.
Quand le cerveau amplifie la douleur
Mais l'histoire ne s'arrête pas aux lésions. Avec le temps, le système nerveux central lui-même se modifie. C'est ce qu'on appelle la sensibilisation centrale.
Concrètement, cela signifie que :
- Les signaux de douleur sont amplifiés dans la moelle épinière et le cerveau
- Les mécanismes naturels qui atténuent la douleur deviennent moins efficaces
- Des zones normalement non douloureuses deviennent sensibles (sensibilisation croisée)
Cette sensibilisation explique pourquoi certaines femmes ressentent des douleurs même en dehors des périodes de règles, ou pourquoi des organes voisins (vessie, intestins) deviennent eux aussi douloureux.
Le rôle des cellules gliales : les sentinelles du cerveau
Dans le cerveau et la moelle épinière, des cellules appelées cellules gliales s'activent de manière excessive chez les femmes atteintes d'endométriose. Normalement, elles protègent les neurones. Mais lorsqu'elles sont suractivées, elles sécrètent des médiateurs inflammatoires qui amplifient la transmission de la douleur.
Cette activation gliale contribue non seulement à la chronicité de la douleur, mais pourrait aussi expliquer certains symptômes associés : anxiété, dépression, fatigue intense, ou encore ce fameux "brouillard cérébral" que beaucoup de femmes décrivent.
Le ton vagal réduit : un déséquilibre autonome
Le nerf vague, qui relie directement l'intestin au cerveau et qui joue un rôle clé dans la régulation du stress et de l'inflammation, montre une activité réduite chez les femmes atteintes d'endométriose. Ce ton vagal diminué reflète un déséquilibre du système nerveux autonome (le système nerveux qui dirige les fonctions involontaires du corps : respiration, digestion, etc.), qui peut affecter la digestion, la gestion du stress et même la perception de la douleur.

Baquiran, M. and Bordoni, B., 2025. Anatomy, Head and Neck: Anterior Vagus Nerve.
Et le lien avec les troubles digestifs ?
Vous êtes nombreuses à souffrir de ballonnements, de douleurs abdominales ou de troubles du transit. Ce n'est pas un hasard. L'intestin possède son propre système nerveux : le système nerveux entérique (SNE). Il contient plus de 200 millions de neurones et fonctionne de manière relativement autonome.
Mais dans l'endométriose, plusieurs phénomènes perturbent ce système :
- L'inflammation abdominale affecte les neurones et les cellules gliales de l'intestin
- La neuroplasticité du SNE (sa capacité à se remodeler) peut entraîner une hypersensibilité viscérale
- Les voies nerveuses du pelvis, du côlon et de la vessie convergent, ce qui explique pourquoi une douleur dans une zone peut en déclencher dans une autre
Le nerf vague est au cœur de cette communication. Lorsqu'il est moins actif (comme c'est le cas dans l'endométriose), la digestion peut être ralentie et les symptômes digestifs amplifiés.
Le poids des traumatismes
Des études récentes montrent que les traumatismes vécus pendant l'enfance (violences, négligences, événements stressants) augmenteraient le risque de développer une endométriose. Plus l'exposition aux traumatismes serait importante, plus le risque s'élèverait.
Ce lien s'explique par l'impact durable du stress sur le système nerveux et le système immunitaire. Les traumatismes précoces pourraient modifier la façon dont notre corps gère la douleur et l'inflammation à l'âge adulte.
Que retenir ?
L'endométriose n'est pas "juste" une maladie gynécologique. C'est une maladie systémique qui implique :
- Un remodelage nerveux local dans les lésions
- Une sensibilisation centrale du système nerveux
- Un déséquilibre du système nerveux autonome
- Des interactions complexes entre nerfs, système immunitaire et microbiote
Comprendre ces mécanismes, c'est ouvrir la porte à des prises en charge plus globales : au-delà des traitements hormonaux et chirurgicaux, des approches visant à réguler le système nerveux (gestion du stress, respiration, accompagnement psychologique, techniques de modulation de la douleur) peuvent apporter un réel soulagement.
Votre douleur est réelle. Elle a des racines profondes dans votre système nerveux. Et elle mérite d'être prise en charge dans toute sa complexité.
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